Les jeux vidéo : un domaine juridique sérieux et d’avenir

By Thomas Burelli, Haoran Liu et Marie Dykukha

Professeur agrégé et étudiants au J.D., Faculté de droit - Section de droit civil

Thomas Burelli
Technology Law, Ethics and Policy
Jeux vidéo
Environ 2,58 milliards*. C’est le nombre estimé de joueurs et joueuses de jeux vidéo à dans le monde entier. Loin d’avoir plafonné, on anticipe une croissance de ce public dans les années à venir.

Longtemps considérés comme un simple divertissement, en particulier pour les plus jeunes, les jeux vidéo ont largement évolué depuis leurs débuts pour devenir une industrie majeure et un média incontournable de la culture contemporaine.

Cependant, au-delà du plaisir qu’ils procurent et de leur popularité croissante, les jeux vidéo soulèvent toute une série de questions juridiques et éthiques complexes, qui démontrent qu'ils sont aujourd’hui bien plus qu'un passe-temps amusant et inoffensif. De la protection des données personnelles à la dépendance aux jeux vidéo, en passant par la propriété intellectuelle et l'intelligence artificielle (« IA »), autant de problématiques qui justifient que les juristes s’intéressent à ce domaine d’avenir fascinant. 

Dis-moi qui tu es… : la protection des données personnelles des joueurs

Les jeux vidéo sont d’abord et avant tout une industrie qui vise à générer des revenus.

Pour cela, certains studios n’hésitent pas à employer tous les moyens, notamment en collectant massivement les données personnelles des joueurs et en les exploitant à des fins publicitaires. Ces pratiques sont particulièrement problématiques lorsqu’elles visent les mineurs.

Face à cette exploitation, les règlementations sont en général très lacunaires, même si au Québec, par exemple, des modifications à la loi sur la protection des renseignements personnels ont été apportées pour prendre en compte certaines pratiques du monde des jeux vidéo.

Dans ce contexte la responsabilité de la protection des plus jeunes incombe alors aux parents, bien souvent peu informés et outillés. Les juristes peuvent s’intéresser aux types de données enregistrées par les entreprises, à l’information offerte aux joueurs sur la manière dont leurs données sont utilisées ainsi qu’à la notion de consentement, entre autres.

Cachez-moi ce jeu vidéo que je ne saurai voir ! : la protection des joueurs face au contenu des jeux

Les jeux vidéo nous proposent de prendre part à une grande diversité d’expériences, du développement d’un village prospère et coloré dans le jeu Animal Crossing, jusqu’à la lutte sanglante contre une invasion nazie dans une Amérique dystopique dans Wolfenstein II : New Colossus. Il apparaît évident que tous les jeux vidéo ne sont pas bons à mettre entre toutes les mains.

Mais comment contrôler l’accès du public aux jeux vidéo et protéger en particulier les plus jeunes? Faut-il s’en remettre aux acteurs de l’industrie comme c’est le cas en Amérique du Nord et leur faire confiance pour informer de manière transparente le public, notamment au travers de la classification de l’ERSB (Entertainment Software Rating Board)? Ou faut-il au contraire s’en remettre aux autorités publiques comme c’est le cas en Allemagne ou en Australie, au risque de réactiver le spectre de la censure étatique ? 

Juste une dernière partie… : La dépendance aux jeux vidéo

Si les adeptes ont en général beaucoup de plaisir à jouer aux jeux vidéo, cette activité peut entraîner des phénomènes de dépendance aux conséquences graves sur la santé mentale et le bien-être des joueurs.

Depuis 2019, l’Organisation mondiale de la santé reconnait la notion de trouble du jeu vidéo, qu’elle définit comme «comme un comportement lié à la pratique des jeux vidéo ou des jeux numériques, qui se caractérise par une perte de contrôle sur le jeu, une priorité accrue accordée au jeu, au point que celui-ci prenne le pas sur d’autres centres d’intérêt et activités quotidiennes, et par la poursuite ou la pratique croissante du jeu en dépit de répercussions dommageables».

Les acteurs de l’industrie se contentent en général de mettre à disposition des mécanismes de contrôle parental et d’avertir minimalement les joueurs des risques associés à une pratique excessive. Certains développeurs usent même et abusent d’«interfaces truquées» (dark patterns), des mécanismes visant à manipuler les joueurs pour maximiser leurs temps de jeu et leurs dépenses des joueurs.

Le droit peut jouer un rôle crucial en établissant des normes et des protections pour les consommateurs vulnérables. Ainsi, plusieurs pays, dont la Chine, ont adopté des mesures radicales en limitant strictement le temps de jeu des plus jeunes. De son côté, la Belgique a banni des jeux les « lots aléatoires » (loot boxes), qui, moyennant un certain prix, offrent de nouvelles fonctionnalités comme des éléments de personnalisation ou des équipements plus puissants. Une mesure au succès mitigé.

Mon minion ! : Propriété intellectuelle et IA

Les jeux vidéo sont des œuvres complexes, qui font généralement appel à une grande variété et une grande quantité d’artistes.

Dans ce contexte, la propriété intellectuelle des jeux et des différents éléments qui les composent (décors, dialogues, musiques, systèmes de jeu, etc.) peut poser de sérieux défis juridiques. Les créateurs partagent-ils la propriété des jeux développés ? Ou appartiennent-ils aux studios qui portent les projets et recrutent les artistes ?

Et comme si la situation n’était pas suffisamment compliquée, l’intelligence artificielle vient pointer le bout de son nez (et pas que) dans le champ des jeux vidéo et nous poser de nouveaux défis. Peut-on protéger une œuvre créée en toute ou partie au moyen de l’intelligence artificielle ? Si oui, qui en est l’auteur ? L’intelligence artificielle ,son créateur ou encore l’artiste qui utilise l’intelligence artificielle ?

Des questions complexes pour lesquelles les réponses varient d’un État à l’autre, nous obligeant à nous familiariser avec de nombreuses juridictions.  

Joindre l’utile à l’agréable : étudier et pratiquer le droit des jeux vidéo

Malgré la taille de l'industrie du jeu vidéo et les multiples sujets juridiques fascinants à explorer, la recherche et l’enseignement en droit des jeux vidéo demeurent encore balbutiants. N’ayant pas peur de défier les conventions, la Section de droit civil a ajouté à son offre en 2021 le premier cours canadien de « Droit des jeux vidéo » en français.

Les perspectives en recherche sont aujourd’hui très nombreuses en droit des jeux vidéo. Les possibilités d’emploi dans ce secteur en croissance constante offrant des opportunités enrichissantes tant au Canada qu’à l’étranger le sont tout autant. Alors, pourquoi ne pas faire de la recherche ou travailler dans le champ du droit des jeux vidéo, question de joindre l’utile à l’agréable ? 

*: Cette estimation est tirée de la compilation par Statista du nombre d’utilisateurs de jeux vidéo dans le monde entre 2019-2022.