Uswah Ahsan avait neuf ans quand sa famille et elle ont émigré du Pakistan vers le Canada. Elle se souvient qu’il ne lui a pas fallu beaucoup de temps pour réaliser qu’elle n’était pas comme les autres : sa peau était plus foncée, elle avait un accent prononcé et sa mère portait un hijab.
« Certaines personnes ne prononcent toujours pas mon nom correctement, et ne se donnent même pas la peine d’essayer », mentionne-t-elle. « Ça sous-entend que mon nom n’est pas important, même si, culturellement parlant, il revêt beaucoup d’importance pour moi. »
Aujourd’hui étudiante de quatrième année en science politique à l’Université d’Ottawa, Uswah Ahsan explique que les personnes issues des groupes minoritaires doivent composer chaque jour avec ce type de microagressions – des humiliations subtiles ou furtives qui blessent intentionnellement ou non la personne qui les subit. Qui plus est, celles-ci entraînent de plus vastes problèmes systémiques qui excluent les groupes marginalisés de certains postes ou les empêchent de contribuer aux politiques.
« Dans les établissements universitaires, ça signifie que les étudiants issus des minorités se sentent aliénés par leurs professeurs, leurs programmes d’étude ou leurs collègues de classe. »
Plutôt que de simplement parler du problème, l’étudiante a voulu y faire quelque chose – contribuer à donner corps au changement. C’est pourquoi à l’hiver 2020, elle a mis sur pied Ally Squared, un organisme de proximité sans but lucratif dirigé par des jeunes. On y explore la notion d’alliance et propose à la communauté des ateliers pour se familiariser avec ce concept et le mettre en pratique.
Enseigner à se défendre et prêter secours aux autres
Lorsque l’idée de créer Ally Squared lui est venue à l’automne 2019, Uswah Ahsan s’est tournée vers sa bonne amie et ex-colocataire, Sumaya Sherif. Aujourd’hui étudiante de quatrième année en droit à l’Université d’Ottawa, celle-ci s’est jointe à l’équipe, sachant de première main que l’initiative pourrait s’avérer bénéfique.
Sumaya Sherif a grandi dans une communauté majoritairement blanche en lisière de Toronto. Elle nouait ses cheveux en tresses à l’été, et ses collègues masculins, au cinéma du coin où elle travaillait, s’amusaient à dire qu’ils lui couperaient ses « ficelles ».
« Jamais on ne dirait ça à quelqu’un d’autre », se disait-elle à l’époque. « Ça a quelque chose d’humiliant, parce que ça arrive devant un tas de personnes. »
L’étudiante en droit explique qu’Ally Squared donne aux gens les outils pour se défendre, mais aussi pour voler à la défense des autres. C’est entre autres l’occasion de mettre les gens devant un miroir, de leur montrer les microagressions qu’ils tolèrent sans s’en rendre compte, et de les amener à prendre connaissance des effets dévastateurs que ces actes peuvent avoir.
« L’initiative s’intitule Ally Squared (trad. libre : alliés au carré) parce que ce n’est pas qu’une question de se faire des alliés – c’est aussi de bâtir la confiance nécessaire pour se défendre soi-même », explique Uswah Ahsan.
Des gestes plutôt que des paroles
Alors que les gens investissent les rues partout dans le monde pour protester contre la mort de George Floyd et celle de Regis Korchinski-Paquet, il existe plus que jamais un désir collectif de faire bouger les choses.
« On constate qu’il y a beaucoup de bonnes intentions et que les gens veulent avancer, mais ils ne savent pas nécessairement comment s’y prendre », poursuit Uswah Ahsan.
Elle cite par exemple les personnes qui retweetent de l’information ou prennent part à des manifestations, sans toutefois illustrer dans leurs gestes quotidiens leur appui à ces causes.
Elle explique que l’approche d’Ally Squared, centrée sur les alliances, l’équité et la décolonisation, se fonde sur l’action et non sur les intentions. Leurs ateliers sur mesure donnent aux participants les outils dont ils ont besoin pour passer à l’action, bien communiquer et instiguer le changement en amont.
Depuis son lancement en février 2020, l’organisme a offert plusieurs ateliers au public, sans compter une formation donnée à l’exécutif de l’Association des étudiants en développement au premier cycle de l’Université.
Le récit, un outil percutant
Pour favoriser la création d’alliances entre les communautés marginalisées, le groupe fait appel aux récits à la première personne pour illustrer des expériences dénuées d’alliances.
L’ex-députée Celina Cesar-Chavannes a relaté son histoire pour le projet Ally Needed de l’organisme. Dans « Assault on Black Women’s Bodies » (Agression sur les corps des femmes noires), elle retrace les microagressions dont elle a elle-même été victime, démontrant que la discrimination existe aussi dans les sphères du pouvoir.
Le plus récent projet de l’organisme, CommunALLY, explore des possibilités d’alliance entre membres des communautés des Premières Nations, métisses, inuites, immigrantes et réfugiées. L’équipe d’Ally Squared a lancé un appel invitant les membres de ces communautés à partager des expériences lors desquelles ils auraient eu besoin d’un allié – et ce, dans la langue de leur choix et dans le format qu’ils préfèrent.
La pandémie et la distanciation sociale n’ont pas freiné le travail pour devenir de meilleurs alliés. Ally Squared redouble plutôt d’ardeur pour aider les communautés les plus touchées par la pandémie. Pour obtenir des ressources, suivre un atelier ou partager votre vécu en ligne, consultez le site Web d’Ally Squared.