« Il était très rare que nous parlions ou entendions parler négativement de l’école, des prêtres et des religieuses. Mais on sentait une tension chez de nombreux membres de notre communauté. Ce n’était pas sain; c’était troublant », raconte Phil Fontaine, ancien Chef national de l’Assemblée des Premières Nations (APN), lors d’un événement en ligne de l’Université d’Ottawa le 30 septembre pour marquer la première Journée nationale de la vérité et de la réconciliation.
Né en 1944, Phil Fontaine est un Anishinabe de la Première Nation de Sagkeeng, au Manitoba. Il a fréquenté des pensionnats à Winnipeg et dans sa communauté d’origine. Bien que ses frères et sœurs, ses parents et sa grand-mère paternelle aient tous survécu aux pensionnats, il affirme qu’aucun d’entre eux ne parlait ouvertement des mauvais traitements qu’ils y ont subis.
« Quand le problème a fini par faire surface, la honte et la gêne ont empêché les gens d’en parler ouvertement. »
Affronter la honte
D’abord élu chef régional du Manitoba à l’APN dans les années 1980, Phil Fontaine devient ensuite grand chef de l’Assemblée des chefs du Manitoba en 1991. C’est en 1990 qu’il parle pour la première fois publiquement des abus physiques et sexuels dont il a été victime au pensionnat autochtone de Fort Alexander.
« Nous parlions toujours de l’avenir et de ce que deviendraient les Premières Nations, se souvient-il. Nous souhaitions l’émergence d’une communauté saine, belle et prospère. Et je me suis dit : “Nous n’y arriverons pas si nous laissons ce nuage noir éclipser tout ce que nous faisons.” »
Lorsqu’il raconte son histoire à l’assemblée annuelle de l’APN à Whitehorse en 1990, il souligne que les Autochtones doivent affronter cette dure réalité, malgré la honte, la douleur et la gêne que cela entraîne. « C’est à nous de le faire. »
Sur le chemin de la guérison
La prise de parole courageuse des survivantes et survivants des pensionnats a entraîné des excuses du gouvernement du Canada en 2008 et la création de la Commission de vérité et réconciliation, dont les travaux se sont étendus de 2009 à 2015.
Comme Phil Fontaine le soulignait à l’émission The Journal de la chaîne anglaise de Radio-Canada le 30 octobre 1990, « [n]ous espérons que mon geste permettra à d’autres de parler plus facilement de leurs expériences ». Il était important de dénoncer les abus et de documenter cette expérience collective « pour que nous ne l’oubliions jamais […], mais aussi pour entreprendre un processus de guérison qui aidera notre peuple à atteindre la plénitude ».
En tant que chef national de l’APN de 1997 à 2000 et de 2003 à 2009, M. Fontaine a joué un rôle primordial dans la négociation de la Convention de règlement relative aux pensionnats autochtones, entrée en vigueur en 2007. Il s’agissait du plus important règlement de recours collectif de l’histoire du Canada, regroupant 20 causes et plus de 15 000 réclamations individuelles pour abus sexuel et physique.
En 2008, pendant son troisième mandat en tant que chef national, lui et d’autres dirigeantes et dirigeants autochtones, de même que des survivantes et survivants, ont écouté le premier ministre de l’époque, Stephen Harper, offrir des excuses formelles pour les pensionnats à la Chambre des communes.
Le pouvoir de l’éducation
Darren Sutherland, agent d’engagement communautaire autochtone à l’Université d’Ottawa, a demandé à l’ancien grand chef en quoi l’éducation au Canada avait changé en réponse à la discussion nationale sur les pensionnats.
La résilience des personnes survivantes et de leur descendance face à la destruction culturelle causée par les pensionnats se reflète dans la vision autochtone de l’éducation, qui s’articule comme une voie à suivre.
Pour Phil Fontaine, l’éducation fournit à toute personne les outils dont elle a besoin pour vivre pleinement. Il se dit encouragé de voir que les programmes d’études de partout au pays s’intéressent maintenant à l’histoire et aux modes de vie autochtones.
« Qui dirige la plupart de nos communautés? Des personnes instruites qui n’ont aucun intérêt à occulter ou à rejeter nos intérêts culturels, nos pratiques ou nos langues », dit-il.
Il a fallu attendre jusqu’en 1961 pour qu’une modification à la Loi sur les Indiens permette aux membres des Premières Nations d’obtenir un diplôme universitaire sans perdre leur statut d’Indien. Aujourd’hui, les universités de tout le Canada ont mis en place des stratégies d’accueil des Autochtones et de renforcement de leurs cultures. L’Ontario compte maintenant plus de 20 000 étudiantes et étudiants autochtones au niveau postsecondaire. L’Université d’Ottawa, qui a mis sur pied un Plan d’action autochtone, en compte 500.
« Nous savons très bien que le maintien du succès à long terme passe par la collaboration, souligne Phil Fontaine. C’est à nous de faire découvrir à la population canadienne qui nous sommes et de lui enseigner ce qui est important pour l’avenir du Canada. De toute évidence, les peuples autochtones sont au cœur du changement. Notre intégrité culturelle, nos pratiques traditionnelles… nous avons tellement à offrir! »
Cette activité a été présentée par le Bureau des affaires autochtones, le Centre de ressources autochtones Mashkawazìwogamig, l’Institut de recherche et d’études autochtones, l’Association des étudiantes et étudiants autochtones et l’Association des étudiantes et étudiants autochtones en droit.