Kate Townsend, championne de l’équité, de la diversité et de l’inclusion à l’Université d’Ottawa

Portrait de Kate Townsend et de son chien d’assistance
Kate Townsend, experte en matière d'équité, de diversité et d’inclusion à l’Université d’Ottawa, anime depuis plus d’un an des ateliers de formation sur le sujet. Ces rencontres sont l'occasion idéale pour elle de partager ses expériences personnelles, ce qui facilite la prise de conscience des participants.

Même votre instructrice en matière d'équité, de diversité et d’inclusion (EDI) est parfois coupable de préjugés implicites. Cela tient au fait que notre cerveau est programmé pour en développer, explique Kate Townsend, conseillère principale en ressources humaines à l'Université d'Ottawa, qui anime des ateliers de formation à l'EDI en milieu de travail. L'objectif de ses ateliers n'est pas d'éliminer nos préjugés - ce qui serait impossible - mais plutôt de nous aider à les identifier afin qu'ils n'obscurcissent pas notre jugement.

Pourquoi est-il important d’aborder les biais inconscients à l’Université d’Ottawa?

KT : Tout le monde est influencé par une forme ou une autre de biais et les différentes images, références et expériences qui les façonnent. Ces biais sont souvent inconscients et peuvent être contraires à la façon dont on se représente nos propres valeurs et convictions. On peut se penser ouverts d’esprit et pour la diversité, mais, parfois, nos actions – et surtout, notre inaction – peuvent nous trahir.

Comment?

KT : Je vous donne un exemple. En mars 2019, j’attendais un vol à Palm Springs, quand j’ai remarqué une femme trans près de la porte d’embarquement. Je ne sais pas si c’est un sixième sens ou si la transition affine la capacité de deviner l’identité de genre des autres, mais il n’est pas rare que les personnes LGBTQ2S+ (la liste ne cesse de s’allonger) se reconnaissent entre elles. D’habitude, c’est une bonne chose, mais quand c’est négatif, on appelle ça du « clocking » (une forme de reconnaissance qui s’accompagne d’un jugement).

Et donc, la présence de la femme me rendait de plus en plus mal à l’aise, comme si j’allais attirer l’attention sur moi en me tenant trop près d’elle. C’est là que les biais inconscients entrent en action. C’est instantané. Sans réfléchir, mon instinct a été d’éviter tout contact et de me fondre dans le décor... enfin, du mieux que je pouvais, compte tenu du fait que je mesure six pieds quatre et que je transporte un chien d’assistance dans mon sac à main.

Mais ce n’est pas tout. Pour être honnête, je l’ai peut-être un peu jugée à cause de son maquillage, de ses vêtements et de ses chaussures.

[Rire] Elle était sur le même vol que vous?

KT : Elle était ma voisine de siège! Une femme super gentille qui s’appelait Rebecca. Elle venait de célébrer ses 71 ans, et avait amorcé sa transition trois mois plus tôt seulement. Soudainement, son maquillage m’a semblé bien plus beau, tout comme sa tenue et ses chaussures. De quel droit m’étais-je permis de la juger? En parlant avec elle, je me suis rendu compte que mon malaise initial était né de mes propres insécurités, un cas typique de projection. Le fait de voyager avec un passeport qui ne correspondait pas à mon apparence et à mon genre me stressait tellement que mon jugement en a souffert.

C’était un biais dont je n’avais pas du tout conscience!

J’ai demandé à Rebecca si elle avait vécu des difficultés dans ses voyages, en tenant pour acquis que le genre indiqué sur son passeport était sans doute « Masculin ». Elle m’a donné une réponse tordante. Elle s’est penchée vers moi et m’a dit : « Belle enfant, j’ai 71 ans... Je m’en #%@! »

Et vlan! J’ai compris à ce moment-là que les biais nous empêchent d’être nous-mêmes et peuvent nous priver de belles découvertes. Sans l’intervention de l’univers (et le drôle de hasard qui a fait de nous des voisines de siège), je n’aurais pas eu la chance de rencontrer cette remarquable personne.

C’est pourquoi je tiens tant à discuter de ces sujets dans les séances de formation sur les biais inconscients.

Comment définissez-vous les biais inconscients?

KT : À la base, un biais est une préférence. Notre cerveau peut emmagasiner une quantité phénoménale d’informations, à laquelle on accède surtout par un système de renvois et d’associations, genres de raccourcis qui nous permettent de prendre des décisions rapides. Ces décisions rapides ou automatiques sont basées sur des références et des biais dont on n’a peut-être même pas conscience, d’où le terme « biais inconscient ».

Comment se forment ces biais?

KT : D’innombrables influences contribuent à la formation des biais, qui ont toutefois certains points en commun. L’être humain est un être d’habitude et de confort. On gravite instinctivement vers ce qu’on connaît et ce qu’on comprend, parce que la familiarité rassure. Au fil du temps, on développe des habitudes, tendances et façons de penser qui deviennent familières et normales pour nous.  

Parlez-moi de la formation que vous donnez.

KT : Depuis le mois de mai 2019, j’ai travaillé à plusieurs projets de formation sur les biais inconscients. J’ai commencé par une série d’ateliers pour le Programme de leadership, qui a rapidement été suivie d'une série similaire pour les participants d'uOGlobal. J’ai aussi aidé à donner huit séances de formation au Service de la protection. J’avoue que j’étais intimidée à l’idée de donner de la formation à un groupe de professionnels du maintien de l’ordre.

Comment ça s’est passé?

KT : Fantastique! Le résultat a dépassé toutes nos espérances, y compris celles des participants. Le lendemain de notre première séance, je me suis rendu compte que mon anxiété venait d’un de mes propres biais. Ironique, n’est-ce pas?

Vous offrez aussi cette formation aux facultés, n’est-ce pas?

KT : Oui. J’ai été invitée à travailler avec l’Association des professeur(e)s de l’Université d’Ottawa (APUO) et le Centre de leadership académique sur un atelier pour les comités de sélection de l’APUO. Quand un département ou une faculté embauche un professeur ou un chercheur, le processus de sélection est administré par un comité de pairs. Dans le but de favoriser la diversité et l’équité, l’Université d’Ottawa offre une formation obligatoire sur l’équité en milieu de travail à toutes les personnes qui participent au processus de recrutement. 

Comment les gens réagissent-ils à la formation?

KT : J’ai été témoin de prises de conscience dans la plupart, sinon la totalité de nos séances! À en juger par l’effet boule de neige à lui seul, je dirais que les bienfaits sont évidents. Les participants et moi avons vécu d’innombrables moments de découverte. Mais je pense honnêtement que c’est moi qui en bénéficie le plus.

Quand on mesure six pieds quatre en talons hauts, disons qu’on détonne! En tant que personne trans, je connais bien la notion de biais. C’est une réalité qui m’accompagne au quotidien. Le fait de pouvoir parler de mon vécu avec d’autres personnes m’a apporté un équilibre, d’une certaine façon, et a eu un effet guérisseur. Chaque conversation fait avancer la compréhension et crée de nouvelles occasions de se parler et de nouer des liens. C’est ce qu'on veut!

Que peuvent faire les employés de l’Université d’Ottawa pour atténuer les effets de leurs biais inconscients?

KT : Project Implicit, un projet hébergé à l’Université Harvard, vous permet d’explorer vos biais inconscients en ligne. C’est une façon de commencer votre auto-évaluation. L’inscription est gratuite et le premier test vous prendra quinze minutes maximum. Vous trouverez le test en ligne au implicit.harvard.edu.

Faites le test! Quand on prend conscience de nos biais, on comprend mieux la façon dont ils influencent nos actions et nos choix.