Une exploration des contrastes : la Faculté de droit accueille une délégation de Malaisie pour parler de l’indépendance de la poursuite

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Par Communications

Faculté de droit, Section de droit civil

Délégation de la Division des affaires juridiques du département du Premier ministre de la Malaisie et de l’Universiti Malaya
Le 6 mai, la Faculté de droit recevait une délégation de la Division des affaires juridiques du département du Premier ministre de la Malaisie et de l’Universiti Malaya pour une discussion toute spéciale – une exploration en profondeur des complexités du pouvoir discrétionnaire et de l’indépendance de la poursuite avec des spécialistes de plusieurs endroits dans le monde.

Menée par l’honorable Dato’ Sri Azalina Othman Said, ministre du département du Premier ministre (droit et réforme institutionnelle), la délégation malaisienne est arrivée avec un objectif en tête : échanger avec la communauté intellectuelle canadienne sur la question de l’indépendance de la poursuite et examiner, tout particulièrement, les différentes perspectives sur les manières de structurer le bureau et le rôle du procureur général ou de la procureure générale par rapport aux fonctions des procureures et procureurs publics.

Au Canada, c’est traditionnellement la même personne qui occupe les fonctions de procureur général ou procureure générale et de ministre de la Justice; celle-ci chapeaute le service des poursuites, et rend compte directement au Parlement et au public. En 2006, le Canada a revu son modèle fédéral avec la Loi sur le directeur des poursuites pénales, laquelle a établi le Bureau du directeur des poursuites pénales. Ce dernier vient séparer structurellement la fonction de poursuite des autres activités du ministère de la Justice relatives au droit et aux politiques. Cette réforme visait à renforcer l’indépendance de la poursuite. La directrice ou le directeur entame et mène les poursuites judiciaires et intervient dans les affaires d’intérêt public, mais demeure sous la supervision de la procureure générale ou du procureur général. Du côté des provinces, le Québec et la Nouvelle-Écosse ont leur propre service des poursuites.

En Malaisie, la procureure générale ou le procureur général dirige le service juridique et judiciaire. Contrairement à la structure canadienne, la structure malaisienne accorde la fonction de poursuite au fédéral au cabinet de la procureure générale ou du procureur général. Or, des voix s’élèvent dans ce pays pour demander la séparation des fonctions afin d’empêcher l’interférence du gouvernement dans les poursuites pénales. Comme le Canada a fait l’expérience de séparer les deux fonctions, la délégation malaisienne est venue à l’Université d’Ottawa dans l’espoir d’un échange de points de vue sur la question.

C’est la professeure Jennifer Quaid, vice-doyenne à la recherche pour la Section de droit civil, qui a ouvert le bal en faisant état des façons dont le système canadien a été mis à l’épreuve; elle a rappelé en particulier l’affaire récente impliquant SNC-Lavalin comme illustration du potentiel d’interférence politique dans les poursuites judiciaires aux plus hautes instances. L’affaire – un scandale qui aura éclaboussé le Cabinet du premier ministre et éventuellement provoqué la démission de la procureure générale – avait mené à un réexamen par l’honorable Anne McLellan des différentes fonctions concernées. Le rapport McLellan suggérait différentes modifications de la manière de définir ces rôles distincts, mais concluait au bout du compte que le système du Canada avait fonctionné correctement dans l’affaire SNC-Lavalin et qu’il n’y avait rien à changer sur le plan structurel pour protéger l’indépendance de la poursuite. Plusieurs chercheuses et chercheurs de la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa avaient pris part aux consultations du rapport McLellan, dont les professeurs Craig ForceseErrol Mendes et Jennifer Quaid, à l’occasion d’une séance organisée en 2019 par l’éminent chercheur en droit constitutionnel et doyen de l’époque Adam Dodek

Azalina Othman Said et Jennifer Quaid
L’honorable Dato’ Sri Azalina Othman Said avec la professeure Jennifer Quaid

Les échanges canado-malaisiens se sont poursuivis avec l’intervention du professeur émérite Datuk Shad Saleem Faruqi, Ph.D. Ce spécialiste du droit malaisien, professeur de droit à l’Universiti Malaya et titulaire actuel de la chaire Tunku Abdul Rahman à titre de professeur de droit constitutionnel, a discuté de la fusion entre les rôles de procureur général et de procureur public en Malaisie, et a expliqué que cette structure jette le doute sur la neutralité et l’intégrité de la fonction, ce qui a pavé la voie à des allégations de corruption. Selon lui, des réformes constitutionnelles s’imposent pour séparer ces deux rôles importants.

De là, la discussion s’est muée en échanges vigoureux, animés par Jason Chuah, Ph.D., doyen de la faculté de droit de l’Universiti Malaya, entre les spécialistes du Canada et de la Malaisie. Les intervenantes et intervenants canadiens étaient, pour l’Université d’Ottawa, le professeur invité et cadre en résidence Stephen Bindman, le professeur John Packer et le professeur Jamie Liew; pour l’Université Dalhousie, le professeur Bruce Archibald et le professeur Andrew Martin; pour l’Université de Montréal, la professeure Martine Valois; et pour l’Osgoode Hall Law School, l’avocat criminaliste et professeur auxiliaire Anil Kapoor. Le groupe a soulevé toutes sortes de questions intéressantes, de la responsabilité de celles et ceux qui exercent un mandat politique à la difficulté de défendre la primauté du droit en passant par les avantages et inconvénients d’un système de poursuites pénales indépendant. Les professeurs Archibald, Martin, Valois et Kapoor avaient tous pris part aux consultations du rapport McLellan.

Les intervenantes et intervenants malaisiens étaient, quant à eux, la ministre Azalina Othman Said; l’honorable William Leong Jee Keen, président du Comité spécial restreint sur les droits de la personne, les élections et la réforme institutionnelle; MLim Wei Jiet, avocat et coauteur d’un exposé de principe sur la question; Mme Maha Balakrishnan, du Groupe parlementaire multipartite de la Malaisie sur l’intégrité, la gouvernance et la lutte à la corruption; le professeur Philip Koh Tong Ngee de l’Universiti Malaya; Me Andrew Khoo, avocat spécialisé dans les questions de droit constitutionnel; et M. Jerald Joseph de la coalition Platform for Reform. Ces spécialistes ont soulevé des points tout aussi valables sur la complexité de la réforme institutionnelle, le besoin de mécanismes pour garantir l’entière transparence des poursuites pénales, la nécessité de tenir compte des considérations de politique publique, et le besoin que l’organe exécutif responsable des poursuites agisse dans l’intérêt public.

Finalement, le débat aura fait profiter toute les personnes présentes d’une multitude de perspectives. Bien qu’il n’y ait pas de solution universelle, les échanges semblent avoir fait ressortir le fait que les limitations structurelles à elles seules ne suffisent pas à encadrer ce problème complexe : il faut aussi que les titulaires de ces puissantes fonctions fassent preuve d’intégrité et aient à répondre de leurs actes. En fin de compte, il est crucial d’éduquer et de sensibiliser les gens aux nuances inhérentes au service public des poursuites pour gagner la confiance de la population. 

La délégation malaisienne a profité de sa présence à Ottawa pour aller à la rencontre du corps législatif canadien et poursuivre son examen de nouveaux points de vue. Elle compte ensuite se prêter à d’autres rencontres exploratoires avec les têtes pensantes du Royaume-Uni et de l’Australie.

La Faculté de droit de l’Université d’Ottawa remercie sincèrement les représentantes et représentants de l’Universiti Malaya et de la Division des affaires juridiques du département du Premier ministre de la Malaisie de lui avoir donné la chance de prendre part à cet échange très enrichissant.