Eric Kandel, lauréat en 2000 du prix Nobel de physiologie ou médecine, s’est employé pendant des décennies à sonder l’un des plus grands mystères du cerveau : le fonctionnement de la mémoire. Le 13 décembre 2018, plus de 200 personnes se sont donné rendez-vous à l’Université d’Ottawa pour entendre le neuroscientifique de 89 ans, professeur à l’Université Columbia, parler de ses recherches sur la perte de mémoire liée à l’âge et raconter comment elles l’ont incité à se mettre à marcher pour se rendre au travail. Voici un échantillon de ce dont il a traité.
On s’est longtemps demandé si la perte de mémoire liée à l’âge – aussi appelée, par euphémisme, « trouble mnésique bénin de la sénescence » – était un stade précoce de la maladie d’Alzheimer ou un processus indépendant. Pour répondre à cette question, mes collègues et moi avons pris en considération trois facteurs : l’âge auquel le trouble apparaît et commence à progresser, les causes anatomiques et les anomalies au niveau moléculaire.
Jusqu’à présent, la preuve la plus probante que l’on est en présence de deux processus distincts, c’est qu’ils ne commencent pas au même âge. La maladie d’Alzheimer, en effet, est à la fois beaucoup plus rare et plus tardive que la perte mnésique liée à l’âge.
Le tissu osseux est une glande endocrine. Il sécrète une hormone appelée ostéocalcine, dont l’action s’exerce sur plusieurs organes du corps, y compris le cerveau. L’ostéocalcine, qui traverse la barrière hémato-encéphalique, contribue à l’apprentissage spatial et aide à prévenir l’anxiété et la dépression.
Nous avons voulu savoir si cette hormone avait un effet sur la perte de mémoire liée à l’âge.
L’ostéocalcine et l’exercice
À mesure que les animaux vieillissent, leurs niveaux d’ostéocalcine baissent, mais on peut renverser cette tendance en faisant de l’exercice. L’exercice, en effet, fait augmenter de manière spectaculaire les niveaux d’ostéocalcine. Ainsi, lorsqu'on injecte cette hormone à des souris âgées, elles débordent d’activité. Si on leur injecte une solution saline, elles redeviennent amorphes.
L’un des faits parmi ceux qui ressortent des études de populations, c’est que plus on commence tôt à traiter son corps avec l’attention qu’il mérite, mieux c’est. Si on souhaite prévenir l’apparition et la progression de la perte mnésique liée à l’âge, il est donc important de prendre l’habitude de marcher, pour stimuler la production d’ostéocalcine.
J’ai toujours nagé, mais j’ai remplacé la natation par la marche. Les os sont sollicités davantage quand on marche, en raison des contacts avec le sol. Le lieu de travail de Denise [ma femme] étant plus éloigné que le mien, elle s’y rend en voiture. J’avais l’habitude de me faire déposer par elle à l’aller, et elle me reprenait au retour. Ce n’est plus le cas. Je fais maintenant le trajet à pied dans les deux sens. J’ai échangé mon porte-documents contre un sac à dos.
[La neuropsychologue montréalaise] Brenda Milner, qui est un exemple pour beaucoup d’entre nous, est centenaire. Non seulement elle se rend encore au travail tous les jours, mais elle s’y rend tous les jours à pied, comme elle l’a fait tout au long de sa carrière... Et le chemin qu’elle emprunte est en pente!