Équité et cohérence pour les étudiantes et étudiants de l’Afrique

Culture
Équité, diversité et inclusion
Étudiant africain confiant portant un masque médical
Il est temps de faire preuve d’équité et de cohérence pour accueillir l’excellence de l’Afrique. Réflexions de Sanni Yaya, vice-recteur, International et Francophonie, Université d’Ottawa.

Réflexions de Sanni Yaya, vice-recteur, International et Francophonie, Université d’Ottawa
Article publié le 24 février 2022, section Idées, Le Devoir

Depuis quelques semaines, le monde universitaire et collégial et plusieurs élus au pays ont fortement réagi, avec raison, au taux anormalement élevé de refus de permis d’études pour les étudiants internationaux en provenance d’Afrique.

En effet, au cours des dernières années, de nombreuses demandes de permis, traitées par Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, sont refusées pour des motifs souvent incompréhensibles et accusent des délais de traitement anormalement longs. Comment comprendre, par exemple, que des étudiants aux cycles supérieurs ayant pourtant des bourses garanties par leurs établissements et un bon dossier de conformité puissent essuyer des refus de visas, sinon comme un biais implicite de la part de l’agent responsable de leur évaluation, convaincu de leur l’intention de ne pas quitter le Canada une fois expiré leur permis d’études?

Plus troublant encore, les demandes des étudiants issus des pays africains francophones sont rejetées en plus grand nombre que celles d’étudiants d’autres pays. Cette situation est déplorable à plus d’un égard pour l’excellence de la formation de la jeunesse africaine d’abord, pour l’excellence et la pérennité des institutions d’enseignement et de recherche au Canada ensuite – plus particulièrement pour les universités et collèges bilingues et francophones du pays.

Le Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration de la Chambre des communes s’est récemment saisi de cette question. Les témoignages et les rapports déposés, notamment par l’Université d’Ottawa, ont permis de mettre en relief l’importance stratégique que représente la présence de ces étudiants non seulement pour la santé financière des institutions d’enseignement postsecondaire, mais également pour l’ensemble du marché du travail au Canada.

Forte d’une communauté étudiante internationale, de près de 10 000 étudiants provenant de 147 pays, qui représente aujourd’hui près de 21 % de sa population étudiante, l’Université d’Ottawa a connu une hausse spectaculaire, de 350 % du nombre d’étudiants internationaux inscrits dans ses 450 programmes, de 2011 à 2021. Pour la même période, le nombre d’étudiants internationaux inscrits dans un programme en français a plus que quintuplé, représentant désormais 25 % de la population totale des étudiants francophones selon la langue d’usage. Ce succès fait notre fierté et témoigne d’une reconnaissance internationale de notre savoir-faire et de la qualité de notre projet académique. La présence de ces étudiants au sein de notre communauté est une source de diversité et d’enrichissement culturel et témoigne de notre ambition de construire une communauté universitaire de convergence.

Pour l’Université d’Ottawa, le taux anormalement élevé de refus de permis d’études révèle un manque d’équité et surtout une absence de cohérence des politiques fédérales. La Stratégie du Canada en matière d’éducation internationale (2019-2024), qui vise à faire du Canada l’une des principales destinations d’apprentissage dans le monde et à diversifier la provenance des étudiants internationaux, mise pourtant sur le recrutement de ces mêmes étudiants. Cela n’est pourtant pas possible sans une véritable cohérence à l’échelle du système et une coordination non seulement au sein même du gouvernement fédéral (Affaires mondiales Canada, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, Emploi et Développement social Canada, etc.), mais également avec les provinces et territoires.

Les universités et collèges bilingues et francophones partout au pays sont frappés de plein fouet par des barrières systémiques qui exigent une refonte complète des procédures et processus en place. À l’extérieur du Québec, cette situation affecte profondément un équilibre précaire et fragile qui pourrait menacer à terme la viabilité financière des institutions d’enseignement et de recherche de la francophonie canadienne. Face à l’immensité des défis de certaines communautés francophones d’ici (pénurie de main-d’œuvre qualifiée, transferts linguistiques intragénérationnels vers l’anglais, baisse du poids démographique des francophones, etc.), l’accueil d’étudiants africains ouvre une porte sur l’avenir, alors que la moyenne d’âge de l’Afrique francophone avoisine les 20 ans et que c’est dans ce continent que l’on retrouve le plus haut taux de croissance des populations francophones au monde.

Les établissements d’enseignement postsecondaire doivent aujourd’hui se démarquer de leurs concurrents traditionnels (américains et britanniques) et non traditionnels (asiatiques) qui prévalent comme des références. On peut regretter cette conception de l’enseignement supérieur qui contribue à une concurrence, à divers degrés entre universités. Mais celle-ci n’est pas incompatible avec des modèles d’internationalisation fondés sur la coopération et la co-construction. La circulation du savoir et des idées doit s’accompagner d’une plus grande mobilité des étudiants et des chercheurs. L’un ne va pas sans l’autre. Des universités ouvertes sur le monde doivent pouvoir accueillir la diversité du monde.

Les étudiants internationaux apportaient en 2018, plus de 22 milliards de dollars à l’économie canadienne et soutenaient plus de 218 000 emplois, selon Affaires mondiales Canada. L’accueil et la rétention des étudiants internationaux assurent aux universités et à l’ensemble de la société, les moyens de son développement et de son rayonnement. Pour l’Université d’Ottawa, il y a ici un virage d’importance qui s’impose maintenant. Le statu quo n’est plus une option et le gouvernement fédéral doit réagir. Et réagir veut parfois dire retourner à la planche à dessin de façon à trouver des solutions ingénieuses (l’élargissement du Volet direct pour les études à plusieurs autres pays africains est un bel exemple) qui permettront au Canada et à ses institutions de rester une destination d’études de premier ordre sur la scène mondiale, pour tous les étudiants, ceux de l’Afrique francophone compris.