C’est notamment grâce au dépistage qu’on sauve des vies. En effet, diagnostiquer un cancer à un stade précoce augmente le taux de survie, diminue la morbidité et a pour conséquence l’utilisation de traitements moins intensifs. Mais cette détection précoce pourrait aussi permettre au système de santé du Canada de faire des économies substantielles.
Les États-Unis recommandent maintenant de commencer le dépistage du cancer du sein dès la quarantaine en raison d’une hausse du taux d’incidence de la maladie chez les femmes plus jeunes, une augmentation que confirme un récent projet de recherche mené à l’Université d’Ottawa.
L’autrice principale de l’étude, la Dre Anna Wilkinson, professeure agrégée à la Faculté de médecine de l’Université d’Ottawa et oncologue généraliste au Centre de cancérologie de L’Hôpital d’Ottawa, ainsi qu’une équipe de recherche de l’Université d’Ottawa et de L’Hôpital d’Ottawa – qui compte notamment la Dre Moira Rushton, oncologue médicale au Centre de cancérologie de L’Hôpital d’Ottawa – ont collaboré avec l’Institut de recherche Sunnybrook afin d’examiner le rapport coût-efficacité des traitements du cancer du sein à un stade plus précoce.
La Dre Wilkinson nous donne un aperçu de ces travaux, qui seront présentés lors du congrès annuel de la Société européenne de médecine interne cancérologique sur le cancer du sein :
Question : Quels sont les avantages établis du dépistage précoce du cancer du sein?
Anna Wilkinson : Lorsqu’un cancer du sein est détecté à un stade précoce, il est possible de recourir à des traitements moins intensifs, comme la mastectomie partielle au lieu de la mastectomie, la biopsie d’un seul ganglion (sentinelle) au lieu de l’ablation de tous les ganglions lymphatiques de l’aisselle, et souvent de renoncer à la chimiothérapie et à la radiothérapie.
Les statistiques de survie au cancer du sein dépendent du stade du cancer au moment du diagnostic. La survie nette à 5 ans pour un cancer du sein de stade 1 est de 100 %. Elle diminue ensuite à 92 %, à 74 % et à 23 % pour les cancers du sein des stades 2, 3 et 4.
« Le dépistage annuel chez une cohorte de femmes âgées de 40 à 74 ans permet au système de santé du Canada de réaliser des économies à hauteur de 459,6 millions de dollars pendant leur durée de vie. »
La Dre Anna Wilkinson, autrice principale
— Professeure agrégée, Faculté de médecine, et oncologue généraliste à l’Hôpital d’Ottawa
Q : Pourquoi était-il important d’examiner maintenant les coûts du dépistage?
AW : Le récent débat sur l’utilité du dépistage du cancer du sein chez les femmes âgées de 40 à 49 ans a mis en évidence toute l’importance de comprendre l’aspect économique du dépistage. En étudiant le sujet, nous nous sommes rendu compte que les analyses coût-efficacité sont dépassées et ne reflètent pas les nouvelles avancées coûteuses qui sont devenues la norme en matière de soins.
Q : Parlez-nous des avancées les plus récentes. Et pourquoi ne tient-on pas compte du rapport coût-efficacité?
AW : Ces dernières années ont été marquées par une explosion d’innovations fort intéressantes sur le plan des traitements du cancer du sein et qui ont permis d’accroître le taux de survie à cette maladie. Cela dit, ces succès thérapeutiques ont entraîné une hausse vertigineuse des coûts dans le cas des cancers du sein de stade avancé. Par exemple, les nouvelles thérapies ciblées pour les cancers du sein hormono-dépendants de stade 2 et 3 à haut risque peuvent coûter près de 142 000 $ sur deux ans et plus de 210 000 $ sur trois ans en situation métastatique. Un conjugué anticorps-médicament très efficace pour le traitement du cancer du sein HER2 positif et HER2 faible coûte 166 000 $ pour une année de traitement. L’immunothérapie pour traiter le cancer du sein triple négatif coûte 153 000 $ pour une année de traitement. Les coûts associés à certains sous-types de cancer de stade 4 peuvent même dépasser la barre des 500 000 $.
Les modèles classiques de calcul des coûts reposent sur l’utilisation de bases de données populationnelles qui présentent un décalage inhérent en matière de disponibilité des données et ne reflètent pas l’évolution rapide des coûts. Nos calculs sont uniques, car ils tiennent compte de tous les coûts engagés à chaque étape du parcours de la personne atteinte : diagnostic, pathologie, radiologie, opération chirurgicale, radio-oncologie, hospitalisation, pharmacie, soins infirmiers et coûts des soins palliatifs.
Q : Selon vos estimations, à combien pourraient s’élever les économies?
AW : Selon nos conclusions, le dépistage annuel du cancer du sein chez une cohorte de femmes âgées de 40 à 74 ans permet au système de santé du Canada de réaliser des économies à hauteur de 459,6 millions de dollars pendant leur durée de vie, d’éviter 3 499 décès attribuables au cancer du sein et de gagner 52 367 années de vie. On parle ici d’économies de 1 880 $ par femme ayant subi un examen de dépistage. Les coûts associés aux mammographies de dépistage et aux diagnostics sont largement compensés par le fait de traiter les cancers aux stades plus précoces, qui requièrent des traitements moins coûteux.
Q : Quelles sont les répercussions potentielles de l’adoption d’une politique de dépistage précoce du cancer du sein et d’autres maladies?
AW : Compte tenu de l’évolution rapide des traitements contre le cancer et des coûts qui ne feront qu’augmenter, le diagnostic précoce des cancers constitue une mesure de réduction des coûts. Il faut voir cette étude comme un appel à la réalisation d’analyses similaires (c.-à-d. sur le rapport coût-efficacité du dépistage précoce) pour les cancers du côlon, du poumon et du col de l’utérus. La démonstration du fait que le dépistage du cancer permet de réaliser des économies pourrait servir à lutter contre les inégalités en matière de santé découlant de la pluralité des pratiques de dépistage au Canada. L’adoption d’un modèle inclusif de dépistage du cancer constitue un moyen d’économiser de l’argent et d’optimiser l’équité en matière de santé, mais aussi de réduire la morbidité et la mortalité attribuables à cette maladie.
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