Pour continuer à démystifier des concepts linguistiques complexes dans la présente chronique, l’équipe du marketing et du développement de l’Institut des langues officielles et du bilinguisme (ILOB) s’est entretenue avec le professeur titulaire Nikolay Slavkov, directeur du Centre canadien d’études et de recherche en bilinguisme et aménagement linguistique (CCERBAL), pour nous aider à mieux comprendre les politiques linguistiques.
Qu’est-ce qu’une politique linguistique?
Une politique linguistique est un concept qui fait référence à un ensemble de règles, de règlements ou de lois concernant l’utilisation des langues. Les termes « aménagement linguistique » ou « gestion des langues » sont parfois également employés. Ces règles peuvent être créées et mises en œuvre par certaines autorités, comme des gouvernements, des conseils scolaires et des universités, ou encore par des organisations internationales telles que l’Organisation des Nations Unies ou l’Union européenne.
Les politiques linguistiques concernent souvent les langues utilisées ou leur usage dans une organisation, dans une région ou dans un pays donné. Il peut s’agir de règlements ou de lois s’inscrivant dans un cadre juridique, ou encore de règles ou de pratiques implicites, qui ne sont pas formellement codifiées, mais établies par les communautés. Le Règlement sur le bilinguisme de l’Université d’Ottawa est un exemple de politique linguistique institutionnelle.
Quel est le rôle des politiques linguistiques dans la société?
Les politiques linguistiques sont importantes parce qu’elles peuvent influer fortement sur la société de manière générale et sur les langues parlées et utilisées dans un territoire de compétence donné. Ces politiques peuvent mettre de l’avant certaines langues tout en reléguant d’autres langues au second plan ou en les rendant invisibles. Elles peuvent donc avoir une influence positive ou négative : certaines langues sont amenées à devenir très importantes, tandis que d’autres se voient menacées d’extinction ou disparaissent carrément.
À bien des égards, le Canada dispose de bonnes politiques linguistiques, car il est parvenu à se définir comme un pays bilingue, avec deux langues officielles plutôt qu’une seule. Cependant, le pays a également connu des échecs notamment en ce qui concerne les langues autochtones, comme en témoignent le système des pensionnats et la discrimination de longue date envers les populations autochtones. Cela a été documenté par la Commission de vérité et réconciliation. Récemment, le gouvernement canadien s’est efforcé d’apporter des changements positifs, en mettant notamment en œuvre la Loi sur les langues autochtones en 2019.
Les politiques linguistiques ont une incidence sur notre quotidien. La langue dans laquelle on nous sert et celle dans laquelle nos enfants reçoivent leur éducation illustrent bien leur influence. Les programmes d’immersion en français et en anglais, comme les régimes offerts à l’Université d’Ottawa, sont conçus en tenant compte des politiques linguistiques existantes et visent à rendre les gens plus à l’aise à utiliser ces langues au sein de la société canadienne.
Qu’en est-il de l’inclusion dans les politiques linguistiques?
Les politiques linguistiques sont fondées sur les croyances, les mentalités et les idéologies des gens. Ces idéologies nous habitent et sont parfois imprégnées de colonialisme, de discrimination et de racisme à l’égard de certains peuples, cultures et langues. Aujourd’hui, nos idéologies ont changé et sont de plus en plus motivées par l’inclusion et la diversité.
« L’un des défis actuels des politiques linguistiques canadiennes, c’est de trouver le moyen d’intégrer harmonieusement d’autres langues dans la société, tout en préservant les deux langues officielles que sont l’anglais et le français.
Idéalement, nous devrions avoir des politiques qui s’éloignent de plus en plus des anciennes conceptions coloniales et discriminatoires pour adopter de nouvelles idéologies plus positives, qui reposent sur l’inclusion et la diversité, permettant ainsi une coexistence harmonieuse de nombreuses langues », explique le professeur Nikolay Slavkov.
Le rôle du CCERBAL et de l’ILOB dans les politiques linguistiques ainsi que les politiques linguistiques familiales :
L’ILOB et son centre de recherche, le CCERBAL, jouent un rôle de premier plan dans les politiques linguistiques. Ce domaine est un pilier de nos activités de recherche, d’enseignement et de sensibilisation. Le CCERBAL compte parmi ses membres des spécialistes des politiques linguistiques fédérales, ce qui est important au Canada en raison des langues officielles nationales.
Ces personnes expertes comprennent les rouages du bilinguisme fédéral canadien, ainsi que ses règlements, ses lois et ses pratiques complexes. Le CCERBAL réunit également des spécialistes des politiques linguistiques des gouvernements provinciaux en matière d’éducation, palier dont relèvent les conseils scolaires et les universités.
Par ailleurs, le CCERBAL compte des chercheuses et chercheurs en politiques linguistiques familiales, qui renvoient aux règles et pratiques explicites ou implicites qui ont cours dans les familles. Leurs recherches visent à répondre à une multitude de questions, telles que :
- Dans la sphère familiale, qui parle quelle langue avec qui?
- Comment les générations précédentes transmettent-elles leur langue à leurs enfants?
- Si les parents parlent différentes langues à la maison, leurs enfants parleront-ils les mêmes ou se tourneront-ils vers de nouvelles langues?
- Existe-t-il des stratégies efficaces que les parents peuvent utiliser pour s’assurer que la richesse du patrimoine linguistique familial est transmise à leurs enfants et que ces derniers ne deviennent pas monolingues?
Dans un monde de plus en plus interconnecté, les familles plurilingues sont devenues une réalité bien ancrée où ces questions prennent toute leur importance.
Les spécialistes du CCERBAL mènent des recherches dans ces domaines, enseignent à l’Université, tissent des liens avec diverses parties prenantes et organisent des événements et des activités de mobilisation des connaissances, notamment les forums de recherche du CCERBAL.
En outre, Monika Jezak, vice-doyenne aux affaires étudiantes à la Faculté des arts et professeure à l’ILOB, est la principale responsable du Compendium de l’aménagement linguistique au Canada, une ressource en ligne destinée aux spécialistes, aux décisionnaires politiques et au grand public.