Aux dires d’une vaste étude observationnelle parue dans le JAMA Internal Medicine, la plupart des patients ne tirent aucun bienfait médical d’une consultation préopératoire avec un médecin spécialiste.
Au Canada, les chirurgiens recommandent chaque année plus de 40 000 patients pour une consultation préopératoire avec un médecin spécialiste (comme un interniste général, un cardiologue, un endocrinologue, un gériatre ou un néphrologue). Entre 10 et 40 % des patients prévus pour une chirurgie non urgente auront une consultation médicale préopératoire.
De telles consultations visent à discuter des problèmes de santé susceptibles d’entraîner des complications durant une chirurgie, mais les preuves dans ce sens sont peu nombreuses et contradictoires.
Selon des données portant sur 359 618 patients en Ontario, 0,9 % de ceux-ci qui ont eu une consultation médicale préopératoire sont décédés 30 jours après leur chirurgie, comparativement à 0,7 % qui n’en ont pas eu.
« En tant que spécialiste, je vois des patients dans le cadre de consultations médicales préopératoires, et je ne suis pas convaincue que de telles consultations ont toujours leur utilité », affirme la
Dre Weiwei Beckerleg, auteure principale de l’étude, interniste générale à L’Hôpital d’Ottawa et professeure adjointe à l’Université d’Ottawa. « La majorité des patients que je vois ont déjà abordé les mêmes questions avec leur anesthésiologiste. Il est arrivé que des patients m’interrogent sur la raison de leur présence à une telle consultation ».
En utilisant les données sur la santé de l’Ontario entre 2005 et 2018, l’équipe de chercheurs s’est penchée sur le cas de tous les patients de 40 ans et plus qui avaient eu des chirurgies non cardiaques comportant des risques modérés à élevés, comme une arthroplastie de la hanche ou du genou, une chirurgie du tube digestif ou une chirurgie pour retirer une tumeur cancéreuse ou une partie d’un organe.
Sur les 530 473 patients faisant partie de l’étude, 35 % (186 299) ont eu une consultation médicale préopératoire dans les quatre mois précédant leur chirurgie.
L’équipe de chercheurs a alors comparé 179 809 patients opérés qui avaient eu une consultation médicale préopératoire à des patients présentant les mêmes caractéristiques qui n’avaient pas eu une telle consultation, en se basant sur l’âge, le sexe, l’état de santé, le revenu selon les quartiers, le type d’hôpital et de chirurgie, l’année de la chirurgie, et la consultation ou non avec un anesthésiologiste.
L’analyse de ces paires appariées a montré que les consultations médicales préopératoires constituaient un facteur de risque indépendant d’un pourcentage légèrement plus élevé de décès 30 jours après la chirurgie. L’important est que ces consultations n’apportaient aucun bienfait manifeste, peu importe le risque d’un patient lié à la chirurgie.
S’il est vrai que cette étude ne permet pas d’expliquer pourquoi les consultations médicales préopératoires pourraient nuire à certains patients, il n’en reste pas moins que le report de chirurgies est une explication plausible.
« Le but d’une consultation médicale préopératoire est d’aider le patient à être en assez bonne santé avant sa chirurgie, tout en ne retardant pas une chirurgie urgente. Il se pourrait que certaines chirurgies considérées urgentes aient été retardées en raison de la prescription de tests ou autres examens superflus », a dit le Dr Daniel McIsaac, auteur principal de l’étude, scientifique et anesthésiologiste à L’Hôpital d’Ottawa et titulaire de la Chaire de recherche en soins périopératoires innovants de l’Université d’Ottawa.
Par exemple, selon les lignes directrices actuelles, seul un petit nombre de patients a besoin de faire un examen du cœur avant une chirurgie. Par contre, les patients appartenant au groupe visé par les consultations médicales préopératoires avaient plus de probabilité que le groupe témoin de se voir prescrire un échocardiogramme et un examen de stress cardiaque.
De plus, les patients du groupe visé par les consultations médicales préopératoires avaient trois fois plus de probabilité de se voir prescrire des bêtabloquants. S’il est vrai que ces médicaments comportent de nombreux bienfaits pour les patients ne se faisant pas opérer, il n’en reste pas moins qu’il est déconseillé de commencer à prendre de nouveaux médicaments avant une chirurgie en dépit du fait que de vastes essais cliniques ont conclu qu’ils augmentaient le risque d’AVC et de décès.
Dans la logique des études antérieures, l’hôpital où le patient était vu semblait le meilleur indicateur quant à la tenue ou non d’une consultation médicale préopératoire. Les grands centres hospitaliers universitaires sont plus probables d’offrir une consultation médicale préopératoire en raison du nombre élevé de leur personnel, de voir des patients constituant des cas plus complexes, et de faire des chirurgies présentant plus de risques.
« Nous ne disons pas que les consultations médicales préopératoires devraient être interdites, a ajouté la Dre Beckerleg. Mais si nous nous fions à la façon dont elles se déroulent actuellement, nous ne sommes pas convaincus qu’elles font toujours une différence. Il faut faire plus de recherches pour savoir à quels patients de telles consultations profitent le plus. Dans l’intervalle, nous espérons que nos conclusions inciteront des organismes de soins de santé à optimiser les soins préopératoires ».
Par exemple, les consultations médicales préopératoires à L’Hôpital d’Ottawa n’ont lieu que pour discuter d’un problème de santé particulier, et non pas pour simplement donner le feu vert pour une chirurgie. L’Hôpital d’Ottawa a aussi réduit le nombre d’examens cardiaques faits avant une chirurgie.
L’équipe de chercheurs recommande dorénavant que les patients âgés soient prioritaires pour un certain type de consultation appelée évaluation gériatrique préopératoire. De précédentes études ont prouvé que ces évaluations permettaient d’améliorer la survie, et que L’Hôpital d’Ottawa était un chef de file sur le plan de la recherche dans ce domaine.
« Une évaluation gériatrique préopératoire peut aider les patients âgés à savoir si la chirurgie sera bénéfique ou plus risquée pour eux, d’ajouter le Dr McIsaac. Si un patient décide de se faire opérer, nous pouvons élaborer pour lui un plan personnalisé et adapté à ses besoins. Nous avons des preuves concrètes des bienfaits de ces évaluations, ce qui sera de plus en plus important avec le vieillissement de la population ».
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