Le Canada sera-t-il prêt à faire face à la prochaine pandémie?

Pôle canadien de préparation à la pandémie
John Bell
La pandémie a amené une bonne partie de la population canadienne à se demander pourquoi notre pays ne produit pas ses propres vaccins contre la COVID-19.

Le 20 mai dernier, le chancelier Calin Rovinescu a tenu une conversation visant à explorer les raisons pour lesquelles le Canada n’est pas en mesure de produire ses propres vaccins contre la COVID-19, ainsi que les changements qui doivent survenir pour que le pays puisse tirer parti de la recherche, mieux se préparer à la prochaine pandémie et progresser vers l’éradication d’autres maladies.

L’événement, qui s’inscrivait dans la série des Débats du chancelier, avait pour titre : « Vous avez dit vaccins? Il est temps que le Canada tire son épingle du jeu en biotechnologie ». Le chancelier s’est entretenu avec John Bell, professeur en médecine à l’Université d’Ottawa et scientifique principal à l’Institut de recherche de l’Hôpital d’Ottawa. Dane Bedward, membre du Bureau des gouverneurs de l’Université d’Ottawa et ancien vice-président de Genzyme Corporation, a agi comme modérateur du débat.

Pendant la discussion, Bell a fait connaître son point de vue sur la mise au point de vaccins, s’appuyant sur plus de 30 années d’expérience en recherche et en entrepreneuriat dans le domaine biomédical. Reconnu mondialement en tant que pionnier de la découverte et du développement de virus oncolytiques, une nouvelle classe de thérapies ciblées contre le cancer, il sait fort bien à quel point il est complexe de faire passer un traitement « du laboratoire au chevet de la personne malade ».

Cette conversation était des plus à propos puisque l’Université d’Ottawa entend bientôt construire un centre de recherche médicale de pointe sur le campus Roger Guindon qui favorisera la collaboration entre scientifiques, cliniciennes et cliniciens, entreprises et gouvernements.

Des centaines de chercheuses, chercheurs et stagiaires auront ainsi accès à des ressources de pointe. Au cœur de ce centre se trouvera le Pôle d’innovation en santé d’Ottawa qui disposera d’installations d’incubation et d’accélération qui permettront de propulser la recherche et de devancer la mise en marché des nouveaux traitements et thérapies.

Voici quelques questions et réponses qui ressortent de la discussion avec M. Bell (qui ont été abrégées par souci de concision).

 

Pourquoi n’existe-t-il pas d’industrie du vaccin au Canada?

Le virus responsable de la pandémie actuelle est le SRAS-CoV-2. La mention « CoV-2 » signifie qu’il s’agit du deuxième virus du SRAS. En 2003, soit il y a près de 20 ans, le premier virus du SRAS est arrivé au pays, et nous étions cruellement mal préparés pour y faire face. Nous n’avions ni vaccin ni médicament pour lutter contre lui et nous avons eu de la chance qu’il ne se propage pas davantage.

En fait, c’était un avertissement. La situation mettait en lumière la nécessité de bâtir des infrastructures appropriées et de créer une industrie du vaccin capable de nous soigner. Il ne s’agit pas d’accuser une administration gouvernementale ou une autre. Dépendre des autres pour les vaccins est un problème chronique qui a affligé tous les gouvernements. Aujourd’hui, plus que jamais, nous devons nous pencher sur cette situation et élaborer une stratégie pour l’avenir — au lieu de simplement financer quelques solutions ponctuelles.

 

Que doit faire le Canada pour se démarquer dans ce domaine?

La difficulté réside dans le fait que la démarche s’inscrit dans un continuum. Il y a d’abord la recherche fondamentale qui fait appel à des scientifiques motivés par la curiosité qui explorent et font des découvertes. Ces idées abstraites sont ensuite soumises à d’autres scientifiques qui les transforment en quelque chose ayant une application plus pratique.

Lorsqu’une découverte est faite, il faut des gens capables de la faire passer du laboratoire à la chaîne de production. Ensuite, les cliniciennes et cliniciens intéressés qui souhaitent comprendre et tester ces produits effectuent des essais cliniques. C’est durant ces essais cliniques que nous découvrons les produits qui ne sont pas efficaces et ceux qui peuvent être améliorés. C’est un processus itératif qui nécessite un engagement du personnel clinique.

Finalement, il faut qu’une société spécialisée en capital de risque ou en biotechnologie reconnaisse que vous proposez quelque chose d’intéressant et accepte de prendre le risque d’injecter de l’argent pour voir s’il est possible de produire un médicament. À la fin, une société pharmaceutique interviendra dans le processus. Il s’agit d’entreprises internationales capables de transformer les découvertes en produits commercialisables. Cela pourrait se faire au Canada si nous avions le savoir-faire nécessaire et l’intérêt d’agir.

C’est un écosystème très complexe et il ne suffit pas d’injecter de l’argent à un point ou à un autre pour que ça fonctionne. Le financement doit s’étendre à toutes les étapes. Vous devez bâtir les infrastructures et la communauté qui permettront de mener à bien ce projet.

 

Comment le vaccin contre la COVID-19 est-il arrivé si rapidement sur le marché et est-ce que cela présente un risque pour la santé des personnes qui ont été vaccinées?

J’entends souvent cette question et je crois qu’il faut vraiment y répondre. L’élaboration des vaccins a été rapide, mais a été faite de façon sécuritaire parce que nous y avons consacré d’importantes ressources. La mise au point des vaccins prend du temps parce que, normalement, nous ne faisons pas les investissements nécessaires. Dans ce cas-ci, nous étions dans un état d’urgence mondial et des ressources suffisantes ont été accordées à Pfizer et AstraZeneca afin que les entreprises élaborent et testent sur-le-champ leurs vaccins.

Ces vaccins existent depuis un moment et ont été testés sur des humains avant l’actuelle pandémie. Par ailleurs, la séquence spécifique du virus du SRAS utilisée, elle, est plus récente. Nous comprenions le fonctionnement de ces vaccins et connaissions la façon d’effectuer rapidement les tests sur un grand nombre de personnes en vue de les mettre sur le marché sans tarder.

C’est un exemple qui illustre d’éclatante façon comment les choses peuvent s’accomplir rapidement si nous y consacrons les ressources nécessaires.

 


Les Débats du chancelier d’uOttawa ont lieu deux fois par année, soit à l’automne et au printemps. Selon le thème retenu et les intervenantes et intervenants invités, les débats sont présentés sous forme de groupes de discussion, d’entrevues individuelles ou de face-à-face traditionnels. Les affaires étrangères, l’innovation et la croissance économique, de même que la justice et la politique sociale figurent au nombre des questions qui peuvent être abordées dans le cadre de ces échanges. Le chancelier assiste à tous les débats et intervient dans chacun d'eux.